La troupe de « l’illustre théâtre » a entre 20 et 25 ans lorsqu’elle est créée en 1643 par des fils de famille parisiens pour concurrencer l’hôtel de Bourgogne et le Marais, les 2 salles de spectacle existantes.
Ils ont envie d’en découdre avec la société et montent des spectacles costumés sur des textes de Scaron ou de Marot. Il y a Nicolas, Georges Denis, Germain, Joseph, Jean Baptiste Poquelin, la belle Madeleine tout juste âgée de 25 ans ainsi que Catherine, Geneviève et une autre Madeleine.
Levée de fonds pour levée de rideau
Devant notaire Parisien le 30 juin, les associés créent les statuts de la troupe dont l’espace coworking est située rive Gauche puis rive droite. Le mode de fonctionnement est clair : à l’exception de Madeleine Béjart qui peut décider et choisir ses rôles, les participants doivent accepter les personnages qui leurs sont confiés sans discussion. Tout départ volontaire doit être informé quatre mois avant comme les licenciements. Les indemnités sont également fixées. Poquelin investit une partie de son héritage. L’organisation est minutieuse, Poquelin est à la fois, régisseur et cast director. Chacun fait de son mieux durant 2 années.
Le mode agile est agité
Tous les jours, debout, les comédiens se réunissent, répétent une intonation , un geste, un vers à retravailler, échangent des derniers potins et informations et prennent des décisions. Avec le caractère de Madeleine, rien n’est simple.
Un projet risqué
Pourtant, le succès n’est pas au rendez-vous. Aussi, Monsieur Frère qui parraine l’équipe et les autres business angels réclament leur retour sur investissement. Monsieur a les poches percées et mauvaise réputation, il n’est clairement pas la meilleure intro pour séduire le roi louis XIV (14), son frère.
Fortement endetté, Moliere ne peut payer et est condamné à la prison. Son père paye la caution et le fait libérer après un séjour de 6 mois, juste le temps de marquer sa mémoire et ne pas froisser le roi. Nous sommes en 1645. Jean Baptiste Poquelin a 23 ans et s’appelle désormais Molière.
By appointment of his majesty the king Louis
La famille Poquelin, propriétaire d’une importante affaire de meuble et de tapisserie participe au marché colossal de Versailles composé de 2300 pièces à vivre. L’entreprise est fournisseur officiel.
On dit que les jours de livraison, les calèches occupent la rue entière. Jean Baptiste n’a pas envie de suivre le chemin tracé par sa famille et taille la route.
Une addiction aux 3 coups
12 ans durant, la troupe vivra l’aventure des tournées de province, essentiellement dans la France méridionale. Une France fracturée par les guerres de religion et la toute-puissance des seigneuries locales qui n’apprécient pas forcément ces Parisiens, proche de la Cour.
Qu’importe, Molière écrit, entouré de ses amis et de la belle Madeleine. La troupe n’est plus la leur, ils sont comédiens au service de leurs passions et découvrent la vie itinérante.
Le bruit des 3 coups du brigadier (bâton) résonne, le rideau se lève. Silence, le spectacle commence.
Priorité au son et à la lumière
Tous les régisseurs vous le diront : il n’y a pas de spectacle réussi sans un bon son et une belle lumière.
Pour le son, le choix du lieu est déterminant. Les artistes de la troupe de Molière doivent gérer les nombreux apartés -présents dans les comédies- qui font vivre le texte, expliquer les situations, rendre complice les spectateurs. Savoir chuchoter, parler à voix basse et être entendu par le fond de la salle. Le public doit être captif, rire quand il le faut. Un gouverneur qui ne rit pas par esprit ou par politique et la salle suit. Rien de pire qu’un public muet ou trop participatif.
Moliere se souvient encore du silence pesant d’un Seigneur qui trouvait là, le moyen de s’opposer au roi et sa famille par l’expression d’une grande distance envers les protégés de son ennemi.
A la fin de chaque acte, il y a la chute et le rebondissement à venir tel que vécues dans les séries Netflix. Il est primordial que tout se passe en pleine lumière et que la panne, la flamme qui vacille, la bougie qui s’éteint, ne se déroulent pas à ces moments intenses de suspens.
Le rythme de la pièce et son écriture sont dépendants des changements de bougies, les grands lustres en hauteur pour les actes, les petites lumières pour les scènes. Certains tourneurs le précisent dans les contrats : le suif qui sert à la réalisation des bougies doit être de bonne qualité et jamais utilisé. C’est à la minute près.
Et puis, il y a les odeurs
Celle de la salle qui a pu servir avant, dans certaines provinces, pour un salon aux bestiaux ou ces premiers rangs inondés de parfums et poudres de beauté. Il faut savoir jouer le cœur au bord des lèvres.
Enfin le public
Paysans enrichis, bourgeois, commerçants, notables, il est de bon ton d’assister (ou pas) aux représentations selon que le curé lors du prêche dominical ait ou non recommandé de s’abstenir de voir ces excommuniés par métier. Le passage dans les rues d’homme publicitaire ou les flyers d’hier n’y changeront rien. Les gilets rayès en pourpoints ronds remplacent quelquefois leurs maitres qui ne veulent choisir leurs camps. Entre Taille, gabelle, autres taxes et guerres passées, le peuple ne peut, le plus souvent, participer à ces réjouissances.
Le succès en Province dépend de l’humeur du Seigneur des lieux.
Pour Molière et sa troupe, la fin des galères en région approche. Nous sommes en 1655, Racine et Corneille triomphent à Paris. En Province, Molière joue, anime, dirige mais n’écrit pas officiellement. Il faut attendre son retour pour qu’apparaissent ses premiers succès dont « les précieuses ridicules » en 1659.
A venir : Paris, le nouveau challenge.